Lodel 2, Stylo 2 : le Markdown scientifique entre dans une nouvelle ère

Deux paradigmes dominent le monde de l’écriture scientifique : Word et LaTeX. Oui, je fais une métonymie un peu facile, en fait c’est « traitement de texte » d’un côté, « TeX et ses dérivés » de l’autre. Mais l’essentiel est là : pour l’instant, il n’y a pas de paradigme alternatif. J’entends par là que si des alternatives existent, elles restent situées, expérimentales, limitées à un public de spécialistes, de curieux ou de militants. L’écrasante majorité des auteurs écrivent soit dans des logiciels comme Microsoft Word, LibreOffice Writer ou Google Docs, soit dans des logiciels comme TeXstudio, Overleaf ou LyX.

Tout ça est en train de changer. En tout cas, les conditions sont en train d’être réunies pour que cela puisse changer.

OpenEdition, Métopes et Huma-Num collaborent depuis plusieurs années pour améliorer les conditions de production de la recherche. Entre autres réalisations, il y a la mise à jour 2.0 de Lodel, le logiciel qui propulse OpenEdition en fabriquant livres et revues numériques.

Une nouveauté à signaler : Lodel sera désormais capable de lire nativement un nouveau format XML commun à OpenEdition et Métopes, dont le nom complet est « XML-TEI Commons for Publishing ». Ce format avait été évoqué brièvement dans la revue Arabesques l’année dernièreCannet et Roux, « MÉTOPES au service des plateformes du réseau Repères », 2023.
. Il est déjà possible de l’utiliser comme format d’export dans Stylo, l’éditeur scientifique en ligne développé par la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques et hébergé par Huma-Num.

Il faut s’arrêter un instant sur cette information car on aurait vite fait de la prendre pour un sujet n’intéressant que les spécialistes.

Une heure de formation suffit à apprendre à rédiger en Pandoc Markdown, le format de balisage léger avec lequel on écrit dans Stylo. Utilisés ensemble, ce format et ce logiciel constituent un environnement de travail qui permet de produire toutes les formes attendues du texte scientifique (figures, notes, équations, bibliographie…), avec les avantages du format texte – entre autres, simplicité, légèreté, stabilité, fiabilité. On peut même y écrire à plusieurs ; j’ai longtemps dit en soupirant « Il n’existe pas de “Google Docs du Markdown scientifique” », eh bien ce n’est plus vrai depuis Stylo 2.

Et j’en reviens donc à Lodel 2, qui est en cours de déploiement : on pourra bientôt écrire un article en Pandoc Markdown dans Stylo et envoyer un export XML à une revue hébergée sur OpenEdition, sans avoir à connaître quoi que ce soit à propos de XML. C’est une petite révolution : on pourra enfin dire qu’il existe une alternative de portée générale aux paradigmes Word et LaTeX pour certains besoins d’écriture scientifique.

Attention, je dis bien « alternative » et pas « substitut » : les logiciels de traitement de texte ont leur pertinence, TeX et ses dérivés aussi. Je ne crois pas à la disparition rapide de ces deux paradigmes. Mais ils ont leurs inconvénients. Alors c’est une bonne chose qu’on normalise les propositions alternatives les plus convaincantes.

Attention bis : je ne dis pas non plus qu’il faut maintenir les auteurs de textes scientifiques dans l’ignorance de la technique, en substituant une boîte noire à une autre. La communauté scientifique a besoin d’une culture réflexive des outils d’écriture et de documentation. Le nouveau paradigme repose sur des enjeux dont il est utile d’avoir conscience en tant que travailleur de la connaissance : l’interopérabilité, c’est-à-dire le fait de décloisonner les pratiques et faciliter la circulation des données ; et les interfaces, qui jouent un rôle essentiel dans l’appropriation de la technique.

Mais pour stimuler cette réflexion, il faut de la formation ; et pour que la formation ne se cantonne pas à une sympathique sensibilisation sans lendemain, il faut une infrastructure qui démultiplie nos capacités. D’où mon enthousiasme pour le travail d’OpenEdition, Métopes, Huma-Num, la CRCEN. L’ampleur des moyens consacrés à faire émerger ce nouveau paradigme laisse espérer un changement d’échelle significatif pour l’écosystème du Markdown scientifique. Les choses avancent !